Désirée Szucsany est née à Montréal en 1955. Après des études en lettres, elle publie des romans et des nouvelles. Elle est en outre traductrice et on lui doit plusieurs traductions en français de livres anglais. Issue d’une famille d’artistes, Désirée Szucsany produit également des encres, des huiles, des dessins et des gravures qui connaissent un franc succès. |
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À mon sujetÉcrivaine québécoise, récipiendaire du Grand Prix du Conseil de la culture et des communications des Laurentides en 2001, elle a publié plus de 20 livres aux éditions Quinze, Varia, Québec-Amérique, J’ai lu, etc.
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15 novembre 2014 SERVIR FRAIS
Servir
frais
Chronique
du millénaire
Par
Lady Chesterfield
11
janvier 2000
Depuis
peu, c’est le onze.
Aujourd’hui
neige enfin une fébrilité, tout larguer, jeter du lest, que c’est bon, ah que
c’est bon. Plaisir d’écrire une journée de fou. Les chats nous regardent
pelleter. On fait un tour de lac, une emmerdeuse téléphone, une intéressante
arrive, un intellectuel passe, un ordinateur se fait délaisser, c’est le
rond-de-poêle qui déconne... Il y a huit interruptions de courant, la télé est
renversée, la radio passe juste de la bonne musique, c’est la grève des
artisans et techniciens de Radio-Canada. Avoir des conversations intelligentes.
Les sonnettes d’alarme se font aller. Des cloches? Une volée de bois vert des
valeurs qui s’entrechoquent. Vouloir changer d’histoire. Reçu un texte d’Émilie
Caron. Tout est propre dans la maison. Avant de partir, faire maison nette. Les
Mormons téléphonent. Elder machin. Qu’ont-ils fait au jour de l’An? Ils ont
passé deux jours en chambre, à relire le livre des Mormons. Je ne lirai pas à
n’importe quel prix. Je voulais vous dire... I have burnt it yesterday.
Les
apparences sont trompeuses, on le sait bien. Hier soir, joué au hoxkey
avec Yannick. La patinoire était correcte. La cabane fermait à 9 heures mais le
gardien nous a permis d’enfiler nos patins. Bien au chaud. J’adore patiner et
j’aime jouer au hockey. Un «Leader». C’est la marque de mon bâton. Ha! Ha!
Chi-Chi surveille le robinet. La persane chatte aime bien la chaleur de la
lampe aussi. Dès midi, téléphone s’est mis à sonner. Il y avait plein de
courrier à la poste. On m’a proposé des escapades.
Chose
certaine, nous n’avons aucun problème de prostate, ni Thérèse ni moi.
Nous
parlons d’argent.
Le
photoroman se déroule dans ma tête. «Nous parlerons comme nous écrivons»[1].
Il y a beaucoup de Narcisse, des Arlequins, une Colombine. Je joue la recluse
qui rêve de ski. J’ai fait une encre avec des encres neuves, cadeau de Frankie
qui flirte avec la classe moyenne. Il est à l’hôtel en ce moment, chambre 212 à
l’Ermitage. Il n’a pas l’air de s’ennuyer. Mais il est pâle, si pâle que son
teint me distance de lui. Il a le teint que prête la nuit aux travailleurs qui
ne voient jamais le jour. Un genre qui plaît aux jeunes filles. Vis-je bien?
Vis-je mal? Je ne sais. Mais je vis et nous voici en 2000 quartiers d’oranges,
2000 cigarettes.
2000
steaks
2000
ampoules électriques
Pas
même
2000
sacs en plastique certes
2000
assiettes lavées
2000
rouleaux de papier cul
Peut-être
bien 2000 crayons.
2000
cafés
20 000
pages
Et
peut-être bien 50 000 pages
Si
je compte celle-ci.
Thérèse
bâille.
Dessin
Une
veillée auprès du feu
Après
une tempête de neige.
Lady
Chesterfield écrivait de sa belle écriture les histoires des pays qu’elle
traversait. Tantôt c’était son aventure rocambolesque à l’époque de la lutte
contre l’apartheid, l’ANP, l’agenda et dans le carnet où elle consignait ses
souvenirs, une photo de l’Afrique du Sud. Qui n’est pas l’Afrique peut-être.
Et
d’évoquer le pays ou plutôt ce continent dont le mystère est à peine dévoilé
tant il semble une planète à lui tout seul. Une photo dans le carnet, des
montagnes de rocs imposants, un homme en bermudas, non, en shorts, cigarette
aux doigts, accompagné d’une dame aux cheveux blancs en robe légère...dehors...on
peut sentir la brise tiède imprégnée de la fraîcheur des montagnes. Bien
entourée, voilà où en est la vie. Il pleut à Sherbrooke.
Ici
il y a deux pieds si ce n’est pas trois de neige. Et c’est fabuleux. Demain
j’irai en ski de fond et il fera soleil et pas trop froid. Peut-être bien que
ce sera le printemps. Peut-être que l’hiver sera fini. Enfin il fait chaud avec
peu de bois dans le poêle car la neige sur le toit et autour de la maison
calfeutre tout et la chaleur reste bien au chaud dans tous les coins de la
cambuse. Un bouquet de fleurs blanches, je dessinerai dans le sentier et plus
loin, j’écrirai que je t’aime, je brasserai les rameaux alourdis, secouerai les
branches, mangerai une cuillerée de flocons, oui, sans doute, je m’amuserai.
Nous
pourrions écrire toute la nuit et c’est ce que nous faisons. Lorraine a
téléphoné de Grey Rocks. Elle ne pouvait pas venir à l’atelier, il manquait
d’électricité, elle évoquait même la vision d’une génératrice, un mot qui
circule beaucoup depuis le verglas du 6 janvier, au siècle dernier. Car nous
avons le privilège de parler ainsi... Au siècle dernier... Ma chère... nous
cuisinons avec un oignon et une laitue fraîche, le plus somptueux des festins.
Thérèse m’épate : elle prétend pouvoir manger un sac de pommes à elle
toute seule. Je me demande bien si elle pourrait en faire autant avec un sac de
carottes.
Au
siècle dernier, nous n’allions pas au bout de nos pensées. Marie-Solange ne
répond pas tout de suite. C’est sa coloc qui répond. C’est de la part de qui?
Désirée. Marie-Solange dit que personne ne lui a téléphoné pour lui dire que
l’atelier reprenait le 10 janvier. Or j’ai téléphoné et j’ai laissé un message.
«Je
ne l’ai pas eu!», dit-elle.
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